Parachat A’haré Mot – Kédochim

La parachat kédochim, comme son nom l’indique, enjoint le peuple à la sainteté. Ainsi, elle énonce un certain nombre de lois en rappelant à chaque fois la sainteté d’Hachem, pour préciser l’importance du respect de ces lois. Ainsi cette paracha met en avant les lois du Chabbat, du respect des parents, de l’idolâtrie, du sacrifice, de la moisson, du vol, du mensonge et du paiement des salaires aux employés. Elle stipule également les règles encadrant la parole et toutes les fautes qui peuvent en découler, comme prononcer des malédictions, prononcer des jugements injustes ou encore colporter le Lachone Hara. Suite à cela, la Torah appuie sur l’importance à accorder l’amour entre les hommes, en s’éloignant de tout ce qui causerait la haine. La torah poursuit par d’autres règles concernant la moralité, l’interdiction de pratiquer la sorcellerie et d’autres lois encore.

Dans le chapitre 19 de Vayikra, la torah dit :

יט/ אֶת-חֻקֹּתַי, תִּשְׁמֹרוּ–בְּהֶמְתְּךָ לֹא-תַרְבִּיעַ כִּלְאַיִם, שָׂדְךָ לֹא-תִזְרַע כִּלְאָיִם; וּבֶגֶד כִּלְאַיִם שַׁעַטְנֵז, לֹא יַעֲלֶה עָלֶיךָ׃

19/ Mes décrets, vous observerez ; ton bétail tu ne le feras pas s’accoupler avec une autre espèce ; ton champ, tu ne planteras pas de graines mélangées et un vêtements de fibres mélangées, ne viendra pas sur toi.

כ/ וְאִישׁ כִּי-יִשְׁכַּב אֶת-אִשָּׁה שִׁכְבַת-זֶרַע, וְהִוא שִׁפְחָה נֶחֱרֶפֶת לְאִישׁ, וְהָפְדֵּה לֹא נִפְדָּתָה, אוֹ חֻפְשָׁה לֹא נִתַּן-לָהּ–בִּקֹּרֶת תִּהְיֶה לֹא יוּמְתוּ, כִּי-לֹא חֻפָּשָׁה׃

20/ Et un homme qui s’étendra avec une femme pour des relations intimes alors qu’elle est une servante désignée pour un homme, et elle n’a pas été rachetée ; ou la liberté ne lui a pas été donnée ; il y aura une investigation ; ils ne seront pas mis à mort car elle n’a pas été libérée.

Ce verset traite du sujet de kilaïm à savoir les mélanges d’espèce. Il s’agit de l’interdiction de mélanger les espèces animales, les végétaux, ainsi que le lin avec la laine. Nos sages assignent ce commandement à la catégorie des ‘houkim, lois que l’homme ne peut pas comprendre. Ainsi, cette hala’ha échappe dans son essence, à la perception humaine. Toutefois, il n’est pas interdit de tenter d’en approfondir le concept. Dès que nous analysons cette règle, plusieurs questions se posent. Bien que le pourquoi concret ne peut nous être révélé, nos sages ont laissé quelques éléments de réflexion sur le sujet.

Une première question qui se pose donc sur le sujet, est de tenter d’en saisir l’idée basique. Où se trouve le mal dans le fait de mélanger les espèces végétales ? Ne tirons-nous pas de cela des fruits parfois très bons ? Pourquoi est-ce alors prohibé ? De même pour les animaux où se trouve le mal ?

Par ailleurs, quel mal y’a t-il à porter des vêtements tissés en lin et en laine ? Le lin est en soi permis pour la conception de vêtements. De même pour la laine. Pourquoi leur union devient-elle mauvaise ?

Plus subtil encore, l’interdit de chaatnez comporte deux exceptions, celle des tsitsit et celle des vêtements du cohen. En effet, si le lin est lié à la laine pour réaliser la mitsvah des tsitsit, alors l’interdit de chaatnez est repoussé. Pire encore, la torah demande expressément un alliage de lin et de laine pour la tenue que doit porter le cohen gadol. Comment une chose parfaitement interdite, peut-elle s’avérer être une demande formelle de la torah lorsqu’il s’agit des habits que doit porter l’homme le plus saint lorsqu’il entre dans l’endroit le plus saint ? Cela semble parfaitement contradictoire.

Enfin, la torah poursuit avec un interdit d’ordre sexuel. L’enchainement du texte suggère qu’il s’agit de la suite logique de l’interdit de kilaïm. Quel lien unit ces deux notions ?

Pour avoir un éclaircissement sur le sujet, penchons-nous sur les paroles du Ramban. Il précise préalablement que les propos de nos sages comme quoi cette loi est incompréhensible de l’homme, ne s’appliquent qu’au chaatnez. Par contre, en ce qui concerne les mélanges animales et végétales, les choses sont accessibles. Rabbi Simone dit (Béréchit rabba, chapitre 10, paragraphe 6) qu’il n’existe aucune herbe sur terre qui ne dispose pas d’un flux céleste qui la frappe et lui dit : « grandit ! ». En somme, chaque élément qui compose notre monde dispose d’une base d’ordre spirituelle qui lui fournit la sève de son développement. Chaque source est chargée d’alimenter un élément précis et ne peut en alimenter un autre. Ces forces ne doivent absolument pas être déviées de leur cible. En mélangeant deux espèces aussi bien animales que végétales, nous forçons une combinaison inappropriée. Bien que cela puisse engendrer un résultat sur terre, sur une plan métaphysique c’est l’inverse qui se produit. Dans la mesure où chacune de ses forces sert à glorifier Hachem pour la création du monde, ces dernières doivent être identifiables. Du coup, lorsque nous assemblons deux forces différentes pour créer une espèce inédite, cette nouvelle création ne témoigne alors plus de sa source. De fait, nous annulons en quelque sorte, les énergies qui ont servi à créer cette nouvelle espèce.

Rabbénou Béhayé explique même que ces mélanges sont l’apanage des sorciers. Effectivement, ces derniers utilisent des éléments différents et les assemblent. Par cette action terrestre, ils parviennent à combiner les forces qui nourrissent ces deux éléments dans l’objectif de créer une nouvelle entité. C’est de cette manière qu’ils servent le mal. Car, dans l’absolue, qu’est-ce que le mal ? Le mal est une notion étrangère à la réalité, qui n’a pas lieu d’être. Il n’est qu’une pure invention qui n’a finalement pas de source tangible. Parallèlement, la sorcellerie consiste à créer des choses initialement inexistantes et qui ne disposent d’aucune source spirituelle dans le monde tel que créé par Hakadoch Baroukh Hou.

Tout cela nous permet donc de comprendre la source de cette interdiction. Mais comme nous l’explique le Ramban, cela n’explique pas la raison d’interdire le mélange des fibres de lin et de laine. En ce qui concerne les mélanges animales et végétales, il s’agit d’un assemblage chargé de créer une nouvelle forme, une nouvelle création. Toutefois, l’alliage de fibre n’engendre absolument rien, aucune création n’en découle. En clair, aucune force spirituelle n’est à priori mélangée en même temps que le lin et la laine. D’où notre incapacité à comprendre cette loi.

Le Ramban apporte toute de même un base de réflexion au nom du Rambam. Ce dernier précise que les prêtres idolâtres disposaient spécifiquement d’une tenue faite de lin et de laine lorsqu’ils pratiquaient la sorcellerie. Il semble donc qu’à la base même de leur sortilège, les sorciers usaient de ce mélange particulier. Le chaatnez est donc l’habit du mal, l’habit chargé de représenter le culte idolâtre basé sur la sorcellerie. Ce mélange symbolise à lui seul, les combinaisons des forces spirituelles dont se servaient les sorciers. D’ailleurs nos sages soulignent que le mot שעטנז (chaatnez) est composé des mêmes lettres que שטן עז, la force du satan. Cela corrobore donc l’idée des forces mises en jeu par ses mélanges néfastes.

Grâce à cela, nous pouvons tenter de comprendre pourquoi la torah formule deux exceptions, celle du tsitsit et celle des habits du cohen gadol. D’une part, le tsitsit, se présente en antithèse de la notion des mélanges interdits. Comme nous l’avons évoqué, initialement les forces qui alimentent chaque éléments qui compose ce monde, ont pour objectif de louer Hachem pour la création du monde. Leur mélange au contraire, annihile ces forces puisque le résultat de ce mélange ne témoigne plus de sa source. Or nos sages expliquent la raison pour laquelle nous devons porter des tsitsit. Car le fil azur que nous y mettons rappel la couleur de la mer. Cette dernière nous renvoie à la couleur du ciel au dessus duquel se tient le trône de gloire d’Hachem. En clair, le tsitsit symbolise la source ultime qui n’est autre qu’Hachem. Le mettre constitue donc l’exact opposé des mélanges interdits qui empêchent les forces célestes d’être perçues. Ainsi, quand bien même, les tsitsit seraient composés de fibres de lin et de laine, nous ne tombons pas sous le joug de l’interdit car il ne trouve plus sa place en présence des tsitsit.

De même, en ce qui concerne les vêtements du cohen. Seul l’homme le plus saint lorsqu’il se trouve dans le lieu le plus saint peut porter un tel vêtement. Cela semble finalement logique. Le beth hamikdach est le lieu où l’expression de la présence divine est la plus intense. En son sein, tout témoigne de la sainteté d’Hachem. Dès lors, le mal qu’engendre ce mélange perd toute signification dans l’enceinte du temple. Il s’agit au contraire, de prendre ces même forces et de les présenter dans un endroit où elles perdent toutes raisons d’être.

Et enfin, nous apercevons maintenant le lien avec un interdit d’ordre sexuel. Le fait d’avoir des relations à pour objectif de permettre la venue de la vie dans ce monde. Là aussi, des forces nourrissent l’apparition de la vie. C’est pourquoi tant de règles régissent ce sujet. Car il ne faut pas mélanger des forces qui ne doivent pas l’être. Les forces amenant la création d’un nouvel être, ne peuvent être liées que dans un cadre précisément définit, celui du mariage. Dévier de ce cadre signifie commettre la même erreur que kilaïm. Comme pour kilaïm, il y a un résultat à ce mélange, car la conception d’un nouvel être peut en découler. Cependant, les forces qui ont été mises en œuvres, n’auraient pas dû l’être.

Nous comprenons d’après tout cela, pourquoi, l’interdit de kilaïm se trouve dans la paracha de kédochim, celle qui traite de la sainteté. Car cet interdit relève des combinaisons de forces engendrant l’impureté. Quiconque souhaite être saint doit donc s’éloigner de ces mélanges. Nos sages enseignent que la prière d’une personne portant un vêtement avec du chaatnez n’est pas écoutée durant quarante jours ! C’est dire combien cet interdit est important.

Malheureusement, l’interdit de porter des vêtements tissés en lin et en laine est très négligé de nos jours. Nous portons des habits sans même savoir que le simple fait d’en être vêtu constitue un interdit très grave. Il est illogique de voir que l’interdit de mélanger le lait et la viande est très respecté, tandis que l’interdit de chaatnez, est à ce point dénigré. Porter de tels vêtements est très grave c’est pourquoi il convient de faire vérifier ces derniers auprès d’un expert afin d’éviter de tomber sous l’interdit. Il est dommage de considérer cette halakha comme un simple détail, il s’agit d’une loi aussi importante que n’importe quelle autre. L’impureté quelle engendre est telle qu’elle empêche nos téfilot d’être entendues. Il convient donc de prendre soin de vérifier nos vêtements. Il serait bête de transgresser une mitsvah si simple. Aucune mitsvah ne doit être négligée. Ce n’est qu’en veillant sur chacune d’entres-elles que nous mériterons qu’Hachem pardonne nos fautes amen ken yéhi ratsone.

Chabbat Chalom.

Source

Parashat Quédoshim (5774) – Yéhouda Moshé Charbit